Pro Helvetia et la défense spirituelle

par Thomas Kadelbach

Thomas Kadelbach, né en 1979. Après des études d'histoire et littérature française à Angers, Fribourg et Madrid, il collabore au projet de recherche FNS Les relations culturelles internationales de la Suisse, 1945-1990. Thèse de doctorat sur Pro Helvetia et l'image de la Suisse à l'étranger. Actuellement collaborateur scientifique à l'Université de Neuchâtel.
, Thomas Kadelbach, born in 1979. Studied history and French literature in Angers, Fribourg and Madrid. Research assistant in the SNSF research project Switzerland's International Cultural Relations, 1945-1990. PhD thesis on Pro Helvetia and the image of Switzerland abroad. Currently scientific collaborator at the University of Neuchâtel.

défense spirituelle
guerre froide
seconde guerre mondiale
fédéralisme

Pro Helvetia, l’instrument de politique culturelle le plus important de la Confédération, est un produit de la défense spirituelle et un enfant de l’exposition nationale de 1939. C’est en effet dans le contexte des menaces totalitaires des années 1930 que les autorités fédérales se rendent véritablement compte de l’importance de la culture pour l’identité nationale. Afin de justifier l’existence autonome de la Suisse face aux grandes puissances qui l’entourent, il est indispensable que cette dernière dispose d’une identité culturelle propre. La défense spirituelle présente la Suisse comme le résultat de la rencontre de trois cultures européennes sur un même territoire. Fondée en 1939 sous la forme provisoire d’une communauté de travail, Pro Helvetia est au service de cette mobilisation et reçoit le mandat de faire connaître à l’étranger « l’esprit suisse ». Cependant, en raison de la guerre, les activités internationales ne démarrent véritablement que durant la seconde moitié des années 1940.

Jusqu’à la fin des années 1950, Pro Helvetia ne s’éloigne guère de ses origines et diffuse, au travers de ses projets à l’étranger, le discours-type de la défense spirituelle. Ses expositions d’art insistent sur l’originalité de la création suisse, alors que son service de presse s’emploie à consolider l’idéologie du Sonderfall helvétique.

Néanmoins, la position particulière de Pro Helvetia, instrument de politique culturelle de la Confédération tout en étant à l’écoute des milieux culturels eux-mêmes, provoque dès le début des années 1960 un changement d’attitude. Afin de ne pas s’éloigner des milieux créateurs qui critiquent souvent le conformisme et l’étroitesse de la Suisse, la Fondation s’émancipe de plus en plus des courants orthodoxes de la défense spirituelle. Dans le contexte de la Guerre froide, sa politique d’encouragement plus ouverte lui vaut alors des critiques virulentes des milieux les plus réactionnaires.

Ces antagonismes se manifestent notamment pendant la présidence de Jean-Rodolphe de Salis, qui dirige Pro Helvetia entre 1952 et 1964. L’historien et journaliste favorise les échanges culturels avec l’étranger, même au-delà du rideau de fer. Sa politique d’ouverture suscite de nombreuses critiques, en particulier de la part de l’organisme de défense spirituelle Schweizerischer Aufklärungsdienst. Dans une lettre adressée au Conseil fédéral, de Salis dénonce en 1961 de manière virulente les initiatives visant à renforcer la défense spirituelle anticommuniste, en associant cette dernière à un esprit totalitaire et national-socialiste.

L’émancipation de Pro Helvetia vis-à-vis de son rôle original se manifeste également dans le rayonnement culturel. Alors que la politique d’information de la Fondation était initialement destinée à consolider les mythes nationaux, elle contribue, dès les années 1970 et 1980, à mettre en cause ces mêmes concepts. En témoigne, en 1984, un livre d’histoire suisse commandé par Pro Helvetia pour la diffusion à l’étranger : On accorde parfois à la Suisse le titre de plus ancienne démocratie du monde. Notre but ne sera pas d’examiner le bien-fondé de ce titre, mais seulement d’esquisser à grands traits l’évolution de ce pays depuis ses origines jusqu’à nos jours. Plus de quatre décennies après sa création, le concept de défense spirituelle a fait son temps pour Pro Helvetia, qui renonce aux mythes et à l’idéologie au profit des défis du présent. (tk)

Bibliographie
Bitterli, Urs : Jean Rudolf von Salis: Historiker in bewegter Zeit, Zurich, NZZ Libro 2009
Geistige Landesverteidigung : helvetischer Totalitarismus oder antitotalitärer Basiskompromiss ? in : Die Erfindung der Schweiz 1848-1998. Bildentwürfe einer Nation, Zurich, Chronos 1998, pp. 364-379
Mooser, Josef : Die ‚Geistige Landesverteidigung’ in den 1930er Jahren, in : Revue suisse d’histoire 1997 Nr. 4, pp. 685-708
Rüegg, Severin : Une diversité sans conflits : la politique de promotion en Suisse, in : Hauser, Claude ; Seger, Bruno ; Tanner, Jakob (éd.), Entre culture et politique. Pro Helvetia 1939 à 2009, Genève, Slatkine 2010, pp. 153-183

medias

Philipp Etter, père spirituel de Pro Helvetia

Le conseiller fédéral Philipp Etter, chef du Département fédéral de l’intérieur de 1934 à 1959, est le principal promoteur de la défense spirituelle et joue un rôle central dans la création de Pro Helvetia. En 1944, à l’occasion de l’ouverture d’une exposition de beaux-arts à Berne, il s’exprime sur l’importance de la culture pour l’identité nationale. Son discours est retransmis à l’étranger par le Service des ondes courtes de la SSR.

Lire l’article sur Philipp Etter dans le Dictionnaire historique suisse : http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F4642.php

Archives Swissinfo, en partenariat avec Memoriav

L'unité dans la diversité

Entre 1910 et 1930, l’aristocrate fribourgeois Gonzague de Reynold (1880-1970) est un des maîtres à penser des mouvements de droite en Suisse. Il exerce une influence importante sur la défense spirituelle et sur le message publié par le Conseil fédéral en décembre 1938, à l’origine de Pro Helvetia. Dans une émission diffusée en 1939 par la SSR, Gonzague de Reynold s’exprime sur la défense spirituelle.

Archives Swissinfo, en partenariat avec Memoriav

Jean-Rodolphe de Salis

L'historien et journaliste Jean-Rodolphe de Salis préside Pro Helvetia de 1952 à 1964. Il renforce les relations culturelles avec l'étranger et prend position contre la défense nationale spirituelle.

Jean-Rodolphe de Salis à Zurich, 1965. Photo Candid Lang, © Pro Litteris / Fondation suisse pour la photographie

Pourquoi la Suisse existe-t-elle ?

Pourquoi la Suisse existe-t-elle ? Durant les années 1940 et 1950, l'objectif de la propagande culturelle est de justifier l'existence autonome de la Suisse.

Article de Gonzague de Reynold paru dans le journal mexicain Imagen le 1er janvier 1950. Archives fédérales E 2001 (E), 1967/113, Vol. 350

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